Nous entendons déjà le ministère de la Famille (MIFA), dont la lutte contre le racisme est l'une des attributions, se réjouir des chiffres en baisse pour le Luxembourg dans l'étude BBE 2, apparemment en raison d'un changement méthodologique. Nous constatons que le racisme est en augmentation en Europe : 45 % des personnes interrogées disent avoir été victimes de discrimination raciale, soit une augmentation de six points de pourcentage par rapport aux 39 % de la première étude parue en 2018.
On voit aussi le fait que le racisme touche toutes les sphères de la vie : cela va des insultes proférées envers leurs enfants à l'impossibilité de pouvoir louer un logement, l'école au marché du travail, en passant par le logement et la santé. Le président de la FRA M. O’Flaherty a appelé tous les pays de l'UE à recueillir des données désagrégées selon l'origine ethnique ou raciale, afin d'essayer de mieux cerner le problème. Malheureusement contrairement au Royaume-Uni, le Luxembourg ne recueille pas de données désagrégées selon l’appartenance raciale ou ethnique à l’heure actuelle (ex. étude nationale sur la santé mentale). Or, le manque de données empêche d’évaluer les progrès.
Quelques chiffres importants :
Au Luxembourg, seulement 9% des personnes rapportent un incident quand ils sont victimes.
A noter que seuls 19% des personnes interrogées connaissent l’existence du CET (mais ce n’est pas forcément la raison du faible pourcentage de personnes qui rapportent un incident, puisqu'il y a des taux importants même dans les pays où l'organe à l'égalité est fortement connu).
Le taux de sur-qualification (proportion de personnes ayant fait des études supérieures et occupant un emploi peu ou moyennement qualifié), indépendamment de la citoyenneté, est de 46 % pour les personnes d'origine africaine et de 22 % pour l'ensemble de l'UE-27. Ce taux grimpe à 57% pour les afrodescendants qui n’ont pas un passeport européen. Un cinquième des personnes interrogées a un contrat temporaire et ne bénéficie pas de la sécurité de l'emploi, alors que ce taux n’est que de 6% dans la population générale. 30% des personnes interrogées habitent dans des logements surpeuplés, contre seulement 6% dans la population générale.
En 2001, le Luxembourg a signé la déclaration de Durban et s’est ainsi engagée à élaborer un Plan d'action national contre le racisme (PAN). Le PAN qui est train d’être rédigé concrétise donc l’engagement que le Luxembourg a pris il y a plus de 20 ans et répond à la demande de la Commission européenne d’adopter un PAN. La Commission demande entre autres de garantir que des représentants de la société civile (en particulier les personnes concernées directement par le racisme) et des organes de promotion de l’égalité de traitement soient associés à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation du PAN.
Le PAN est en cours de rédaction seulement depuis début 2023!
Il est envisagé que le premier PAN du Luxembourg comprenne cinq domaines d'action, à savoir l'éducation, l'emploi et le travail, le logement, la communication et sensibilisation, ainsi que les statistiques, le suivi et évaluation. Des consultations ont eu lieu avec le ministère de l'Éducation, axé sur le racisme dans l'éducation, le 02.03.2023. La représentation nationale des parents a été consultée le 17.07.2023 et le Conseil supérieur de l'Éducation nationale le 05.10.2023.
Tous les membres de ces entités sont Blancs. Il n’y a pas de personnes concernées.
En ce qui concerne le travail et l'emploi, le ministère de la famille a mis en place un "groupe consultatif" composé de quatre organisations à but non lucratif. Ce groupe consultatif a été mis en place en juillet mais ne s’est toujours pas réuni, ni n’a été consulté d’une quelconque façon. Pour le logement, le MIFA a été invité par le Ministère du logement à tenir un stand à la Semaine Nationale du Logement (5-8 octobre). Nous regrettons que malgré le fait que plusieurs Asbl aient pris de leur temps pour se relayer sur le stand réservé par le MIFA à la Semaine Nationale du Logement, y compris le week-end, le MIFA n’ait pas pris la mesure de cet évènement et n’ait pas organisé un debriefing de l’évènement malgré la demande de plusieurs Asbl.
Le Luxembourg a déjà pris du retard dans la mise en œuvre du PAN 2020-2025 de l'UE, qui a fixé la date limite à fin 2022. Jusqu’à maintenant, nous n’avons aucune idée de ce qui figurera dans le PAN, ce qui fait douter sur la transparence dans sa réalisation (une autre exigence de la commission européenne). Nous craignons que le Luxembourg cherche à redorer son image, une image altérée par le retard qu’il a pris dans le respect de ses engagements sur la lutte contre le racisme tant envers l’ONU qu’auprès de l’UE. Nous constatons que, de toutes les consultations qui ont eu lieu jusqu’à présent, aucune n’ai été réalisée auprès de publics racisés, donc les premiers concernés. Les échéances pour la consultation des associations de publics non blancs ne cessent d’être repoussées.
Nous sommes fatiguées. En tant que femmes noires activistes, nous luttons contre plusieurs choses en même temps : contre l’état, contre les micro agressions au quotidien des personnes blanches, contre les hommes cis noirs parfois dans nos propres mouvements ou en dehors, ont une vision du monde qui est fondamentalement patriarcale. Au Luxembourg nous sommes isolées à alerter sur ce qui ne va pas en termes de lutte contre le racisme, dans un contexte où l’antiracisme est quelque chose de nouveau, ce qui alourdit d’autant plus la charge mentale en tant qu’activiste. Nous vivons dans des lieux où nous sommes la minorité dans tous les sens du terme, et cette charge mentale est énorme. Il est temps nous soyons entendues.
Dans quelques semaines nous présenterons notre nouvelle stratégie au public, ainsi que nos demandes au nouveau gouvernement. Nous espérons que les résultats de l’étude BBE2 seront une aide pour une prise de conscience supplémentaire sur les difficultés que vivent les personnes non blanches au Luxembourg.
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