Le meurtre de George Floyd par la police de Minneapolis en mai 2020 a attiré l'attention du monde entier sur le racisme dans la police. Ce phénomène comprend les pratiques de profilage discriminatoire, les paroles racistes et le recours excessif à la force. Ces actions constituent des indices importants du racisme structurel, institutionnel et systémique dans le maintien de l'ordre. La FRA (EU Agency for Fundamental Rights) a publié son premier rapport sur le racisme dans la police à l'échelle de l'UE en avril dernier. Ce rapport met en évidence les problèmes structurels profonds qui existent dans les pratiques policières dans l'ensemble de l'UE, identifie les lacunes dans leurs cadres réglementaires, et propose des mesures concrètes pour y remédier.
De nombreuses personnes peuvent être affectées par le racisme dans la police, pas seulement les minorités raciales en tant que groupes sociaux ou les individus faisant partie de ces groupes. Le manque de confiance dans la police peut alimenter l'exclusion sociale et compromettre les fondements d'une société juste et équitable. Toutefois, le rapport de la FRA identifie également des bonnes pratiques pour résoudre ces problèmes.
Faire respecter et appliquer la législation nationale
Tous les pays de l'UE devraient renforcer l'interdiction de la discrimination raciale et ethnique et du racisme dans leur législation nationale. Le Luxembourg est l’un des seuls États membres à prévoir une circonstance aggravante en cas de discrimination de la part des forces de police, et fait partie des États membres qui disposent d'une législation interdisant explicitement l'utilisation de l'idéologie fasciste et/ou des symboles fascistes ou la diffusion d'idées fondées sur la supériorité raciale. Toutefois, la législation luxembourgeoise ne règlemente pas explicitement le profilage. Pourtant, l’usage du profilage doit être obligatoirement inscrit dans la loi afin d’en garantir une utilisation licite et non discriminatoire.
Collecter des données sur les comportements répréhensibles de la police
La plupart des pays de l'UE, Luxembourg y compris, ne collectent pas de données officielles sur les incidents racistes impliquant la police, ou ne les enregistrent pas correctement. La collecte systématique de données fiables et comparables, ventilées par sexe et par type d'incident, aiderait les États à mesurer et à traiter le problème. Les pays de l'UE devraient également publier régulièrement des données sur les incidents racistes impliquant des policiers. Les tribunaux ont constaté des cas de discrimination policière fondée sur l'origine ethnique et raciale en Belgique, en Hongrie, en Italie, en Lettonie et au Luxembourg. Les organismes de promotion de l'égalité en Autriche, en Allemagne, en Italie, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Roumanie et en Suède ont fourni à la FRA des données sur les plaintes relatives à des pratiques policières racistes. Au Luxembourg, des officiers de police ont tiré mortellement sur un homme noir au cours d'une dispute à Diekirch en juillet 2021 à Ettelbruck. Le parquet de Diekirch avait prononcé un « non-lieu » pour l’auteur du tir en janvier 2022.
Assurer la surveillance de la police et protéger les dénonciateurs
Presque tous les pays de l'UE disposent d'organes de surveillance de la police, mais nombre d'entre eux ne sont pas indépendants et n'ont pas le pouvoir d'imposer des sanctions. Les victimes craignent des représailles, car il leur est difficile de signaler des incidents de manière sûre et confidentielle. Au Luxembourg, l'Inspection générale de la police (IGP), organe de contrôle de la police, est situé au sein du ministère des Affaires Intérieures. Le fait que les mécanismes de contrôle soient associés à l'autorité exécutive soulève des inquiétudes quant à leur indépendance et à leur efficacité dans le traitement des plaintes contre la police. D’autre part, le pouvoir d'émettre des décisions juridiquement contraignantes est essentiel pour garantir l'efficacité du contrôle, non seulement en ce qui concerne les décisions prises par l'organe de contrôle, mais aussi indirectement en raison des effets dissuasifs qu'elles peuvent avoir sur les fonctionnaires de police. Or, même si au Luxembourg l’IGP peut prendre des décisions juridiquement contraignantes et possède le pouvoir d'imposer des amendes à la police, on ne peut la considérer comme un organe suffisamment indépendant du fait qu’elle se trouve sous la supervision de l'exécutif. Les pays de l'UE devraient permettre aux victimes de signaler les fautes commises par les forces de police et leur offrir une protection efficace contre les représailles. Ils devraient également assurer un contrôle indépendant.
Assurer la formation et accroître la diversité
Il est essentiel de disposer de forces de police plus représentatives de la société pour assurer un maintien de l'ordre efficace et digne de confiance. Dans la plupart des pays, Luxembourg y compris, il n'existe pas de données sur la diversité ethnique au sein des forces de police. Il est donc impossible de suivre l'évolution de la carrière des policiers issus des minorités raciales et l'impact que la diversité peut avoir sur les pratiques policières. Comme le souligne le rapport de la Commission sur la collecte de données relatives à l'égalité, le GDPR est parfois utilisé à tort comme argument pour ne pas collecter de données agrégées sur les caractéristiques protégées[1].
Le Luxembourg fait partie des États membres dans lesquels une formation spécifique axée sur la discrimination, le racisme et la xénophobie est dispensée aux policiers. Cette formation couvre, par exemple, les attitudes et les comportements par le biais d'une réflexion sur ses propres préjugés et stéréotypes, la dimension éthique, les compétences en matière de communication interculturelle et la diversité de manière plus générale. Une formation supplémentaire abordant l'islam dans le cadre d’une sensibilisation à la radicalisation et à l'extrémisme est dispensée aux policiers. La FRA attire l’attention sur le fait que cette formation pourrait risquer de perpétuer des préjugés si elle ne couvre pas la haine anti-musulmans, une question qui est généralement rarement abordée dans la formation en question. D’autre part, le Luxembourg est parmi les États pour lesquels les droits fondamentaux font partie intégrante de la formation initiale obligatoire de l’Ecole de Police (EP), qui couvre des éléments liés au racisme et à la discrimination raciale. Ces programmes de formation approfondie et de longue durée couvrent aussi généralement les droits et les devoirs des policiers en tant que fonctionnaires. La formation de la police est également assurée en coopération avec des organisations de la société civile. Les avantages de la coopération entre la police et les organisations de la société civile sont multiples : instaurer la confiance, ce qui peut avoir une incidence positive sur le signalement des délits ; adapter les services de police aux besoins spécifiques des communautés ; surmonter les préjugés ; et prévenir les délits.
Les pays de l'UE devraient s'efforcer d'accroître la diversité au sein des forces de police et de monitorer les efforts réalisés en faveur de la diversité raciale. Ils devraient également fournir davantage de bonnes pratiques aux officiers de police afin de prévenir le racisme dans les services de police.
En somme, le rapport de la FRA demande aux pays de l'UE de faire un effort décisif dans la lutte contre le racisme dans les services de police. Les pays de l'UE devraient veiller à ce que leurs forces de police respectent les dispositions antiracistes de l'UE et du droit international. Les États membres devraient collecter des données sur les incidents racistes et permettre aux victimes de signaler les fautes commises sans craindre des représailles, et assurer un contrôle indépendant. Les forces de police devraient être plus représentatives des communautés qu'elles servent. Enfin, elles devraient être davantage informées des bonnes pratiques existantes pour prévenir le racisme dans le cadre de leur travail.
[1] Une caractéristique propre à un groupe, comme la « race », la langue, la religion, l'ethnie, la nationalité, ou toute autre caractéristique commune.
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