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Photo du rédacteurSandrine G.

Résister au colonialisme hier et aujourd'hui

Il existe un paradoxe surprenant de la façon dont la communauté afrodescendante est perçue. Tantôt considérée comme violente et sanguinaire en considération du traitement de l’histoire récente du continent africain par les médias, tantôt comme la plus passive et fataliste des communautés. Pourtant, la résistance est l’histoire même de la colonisation de l’Afrique et de sa diaspora. Dans l’État Indépendant du Congo, les habitant-es ont cherché à échapper aux injustices auxquelles iels étaient soumis-es, dès le premier moment où les militaires envoyés par Léopold II ont mis les pieds sur ce territoire afin de le conquérir. Partout ailleurs dans le monde, y compris au Luxembourg, les diasporas congolaise, rwandaise et burundaise n’ont cessé de lutter pour maintenir un sentiment positif de leur identité face au racisme omniprésent. Des réalités différentes qui expriment deux formes différentes de résistance, bien loin de l’image de victimes passives qui colle aux Africains.


« Résister », du latin resistere, pourrait être traduit par « se tenir en faisant face », « tenir bon contre » quelque chose. S’opposer. Tenir tête. La résistance englobe la révolte armée, mais aussi un grand nombre de pratiques culturelles comme la musique, l’art, les traditions orales ou la langue[1]. Au Congo, l'une des premières politiques d'exploitation de la main-d'œuvre dans le travail forcé fut le système de portage. Avant la construction du chemin de fer en 1898, et face à un terrain accidenté et des forêts impénétrables, le transport était extrêmement difficile et nécessitait la plupart du temps de la main-d'œuvre locale dont le nombre a augmenté avec le temps. Pour trouver de la main-d’œuvre adaptée dans un village réfractaire, il était courant pour les Européens de capturer des femmes et des enfants et de les garder jusqu’à ce qu’ils puissent les échanger contre des hommes qui serviraient de porteurs. La résistance des Congolais-ses au système de portage établi par les Européens est résumée dans une chanson que l’on pouvait entendre chanter par les porteurs du Bas-Congo en 1888 :


O ma mère, que nous sommes malheureux !...

Les Blancs maudits font venir l’eau sur nos corps ;

Ils ont tué le chef de Mankasa ;

Le Blanc là-bas a une barbe noire ;

Le singe aussi a de la barbe ;

Le Blanc nous a fait travailler ;

Nous étions heureux avant l'arrivée des Blancs ;

Nous tuerons l'homme Blanc qui nous a fait travailler (…)[2].


Lors de la conquête du Kasaï, la région la plus convoitée du Congo en raison de sa taille et de la qualité de son caoutchouc, les Européens ont dû faire face à une résistance féroce. Le roi Kwet aMbweky, voyant les crimes commis par l’homme blanc dans les autres villages, refusa aux missionnaires l’accès à certaines de ses terres. À cette insubordination, les Belges répondront en envoyant des soldats extraire l'ivoire et le caoutchouc dans les villages situés sur la rivière Sankura, provoquant une résistance acharnée qui aboutit à l’attaque et la mort des militaires le 9 janvier 1895. Par vengeance, plusieurs villages le long de la rivière Sankura furent brûlés. Cet évènement constitue un exemple parmi tant d’autres de la résistance collective dont ont fait preuve les Africains contre les violences extrêmes de la colonisation. Parmi les femmes, Kimpa Vita, surnommée Dona Beatriz par les Portugais, était une jeune fille issue de la noblesse qui en appela à l’émancipation du peuple Kongo et la reconstruction du royaume divisé par des guerres civiles au début du 18ème siècle. Elle sera capturée et brûlée par les Portugais en 1706 après avoir lancé une guérilla contre les colons.


Si le lien historique entre le Luxembourg et les ancien-nes colinisé-es n’a jamais été un lien juridique, la société luxembourgeoise est marquée par la persistance de pratiques institutionnelles et de représentations culturelles héritées de la colonisation, produisant des rapports inégaux, qui s’expriment, entre autres, par l’absence des jeunes Noir-es sur les bancs de l’université[3] ou par le fait que les salaires des afrodescendant-es sont en moyenne moins élevés que ceux du reste de la population. Malgré tout, les Noir-es du Luxembourg parviennent à sublimer les expériences de discrimination auxquelles iels font face au quotidien, et à « tenir bon contre » le racisme structurel à travers le souhait de maintenir un sentiment d’appartenance, notamment par la prolifération d’associations culturelles africaines qui ont pour mission de maintenir vivace la culture d’origine à l’aide de manifestations artistiques ou de cours de langues. La lutte contre le racisme constitue également une forme de résistance lorsque les personnes qui y font face s’organisent elles-mêmes afin de mener des actions. Héritières des associations qui entretiennent le folklore, des organisations antiracistes occupent dorénavant l’espace médiatique luxembourgeois et y ont imposé un vocabulaire et des pratiques inédits, telles que les réunions en « non-mixité » ou « mixité choisie ». Véritable outil politique, la non-mixité a été facteur d’avancées sociales considérables aux États-Unis, en aidant à déconstruire le discours dominant, tout en favorisant l’autonomie politique et l’émergence de solutions pour s’en sortir.



[1] Kolar, Calvin C., "Resistance in the Congo Free State: 1885-1908" (2015). Honors Theses. Paper 399 [2] Léon, Dieu, Dans la brousse congolaise: (les origines des Missions de Scheut au Congo)​, (Liège: Maréchal,1946), 59. [3] CEFIS, diaspora capverdienne


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