SOS FAIM Luxembourg ou l'humanitaire colonial

Beaucoup d'entre nous ont été choqué.es par la campagne de SOS Faim Luxembourg dont les affiches sont apparues ce vendredi matin dans les rues de la Ville de Luxembourg. Il me semblait utile d'expliquer les raisons de l'indignation ressentie par la plupart des personnes afrodescendantes face à ces affiches, des raisons qui sont différentes de celles de la plupart des personnes Blanches.
En novembre 2014, le metteur en scène sud-africain blanc Brett Bailey a présenté au public français une performance qui reproduisait un zoo humain du début du XXè siècle, "Exhibit B". Ce spectacle ambulatoire avait suscité un vif émoi dans la communauté afrodescendante, dont de nombreux membres avaient manifesté à l'appel du Collectif Contre Exhibit B Paris.
Dans cette performance, le public complète l’installation, c'est-à-dire qu'en la parcourant, il devient partie intégrante de chaque tableau. Les comédien.nes établissent un contact visuel avec les spectateurices et ces dernier.es sont littéralement contraint.es, elleux, de choisir: regarder ou ne pas regarder. En d'autres termes, ce spectacle reproduit exactement le même principe que celui du zoo humain, la mise en scène de la nature ou de la culture, pour le plaisir des spectateurices.
Dans les expositions coloniales aussi, les Blanc.hes. étaient «vu.es». La question de la domination ne réside pas dans le regard, mais dans la localisation de celui-ci: les Noir.es derrière les grilles du zoo ou derrière la glace du musée données à voir aux Blanc.hes.
Dans les pays du Nord, la dimension problématique de toute représentation de personnes noires en tant qu'objets d'étude, ou de personnes ayant besoin d'être secourues, réside dans le fait que l'homme blanc continue à parler et montrer des Noir.es dans des situations d'infériorité. Cette situation constitue une réelle violence symbolique pour toutes les personne noires, particulièrement celles qui subissent le racisme dans les pays du Nord. Les expériences de vie et le rapport à la question raciale, dans une société majoritairement blanche sont extrêmement différents que l'on soit Noir.e ou Blanc.he.
Je lis que ces premières affiches ne sont qu'une première partie de cette campagne, et que d'autres suivront, mais cela n'enlève rien à la violence symbolique que subissent les personnes afrodescendantes en voyant ces affiches, d'autant plus dans un moment ou le Luxembourg découvre l'ampleur du racisme qui réside dans notre société, grâce à la conférence "Being black in Luxembourg" qui s'est tenue mercredi dernier.
Dans ces conditions, le retrait de ces affiches, ainsi que des excuses de la part de SOS Faim Luxembourg envers toutes les personnes qui se sont senties dégradées par ces affiches, me semble un devoir.
Sandrine, 16/11/2019